dix ans de Nantes
Il y a dix ans, minute pour minute, nous tournions la clef de notre premier appartement d'amoureux. Premier appartement pour moi tout court. J'avais dix-neuf ans, des pumas aux pieds et un pantalon en tweed: mon pref, de pref'.
On a ouvert la grosse porte cochère bordeaux, on a grimpé les 3 étages d'escaliers en ciment et puis on est arrivé devant la porte d'entrée qui donnait sur un petit palier commun.
J'ai tourné le verrou et je me suis engouffrée dans mon palace. Deux pièces, grand luxe! la salle de douche était dans les toilettes, les murs étaient d'un camaïeux beige-vieux rose à vomir partout, le papier peint avait l'air d'être en mousse... quelques mois plus tard, j'avais gratté la moquette de la chambre et j'étais tombée sur de la belle tomette... (j'y ai laissé ma caution d'ailleurs...) l'évier de la cuisine ressemblait à ceux des collectivités, il était si bas que mon amoureux y a perdu ses reins! Il était habillé par une"jupe" de tissu (so kitchouille) pendouillant à un élastique arrimé à deux crochets. A côté nous avions déposé notre étagère en bois pour garage ikéa . Le sol était concave, ce qui ne plaisait guère à l'étagère qui s'est vite chopé une sclèrose, la pauvrette!
J'avais posé mon bouddha sur une tablette d'angle qui était restée des précédents habitants. Toute mon ancienne chambre avait fusionné avec celle de mon chéri, et ce sentiment de fusion m'emplissait de joie. Mon beau père nous avait bidouillé une table rabattable qu'il avait fixée à la cloison des toilettes, celle-ci, fine comme un mouchoir, a menacé de nous tomber sur le coin pendant les deux ans de bail que nous avons honoré, jusqu'à la dernière minute. La voisine n'a pas tenu aussi longtemps, elle était douce et gentille, elle était pigiste chez presse océan. elle a vite été remplacée par une excitée du vendredi soir qui gloussait avec ses copines jusqu'à l'heure d'aller en boîte et regardait bataille et fontaine le lundi... grrr. Elle était bruyante dans tous les moments de sa vie, même les plus intimes... nous étions dépités.
Je faisait la maman remplacante pour un petit T. qui avait une mère un peu bancale, ça me payait au noir mes abscences sur le banc de la fac... c'est dans cette chambre beige, avec un crépi premier prix raté, que j'ai découvert mon ambition profonde d'avoir des enfants, et mon empressement à réaliser cette envie. Ardemment.
C'est dans ces murs que j'ai découvert ce que c'est que la dépression, la solitude et le cafard, que j'ai vécu ma crise d'adolescence en retard, que j'ai vécu les pires heures de ma vie. C'est sur cette moquette que j'ai découvert ce que c'était que la colère, la rage. C'est là que j'ai commencé à muter en ce que je suis maintenant... Quelque part au numéro trois de la rue lamoricère, face au cuturier "Tony " il y a certainement ma mue, collée sous la moquette qu'il aura fallu recoller. Il ya peut être un jeune couple qui démarre dans la vie, en regardant le dôme merveilleux de l'église de bon port, et le canoé perché sur le toit d'en face , qui sourit en croisant le monsieur de l'industrie et qui se lève tôt pour avoir les bons pains au chocolats de chez Honoré... Il y a peut être aussi une jeune femme qui ne sait pas ce qu'elle sera dans dix ans mais qui s'en fout pour le moment, trop occupée à rêver dans cette chambre beige, à ce qu'elle voudrait être quand elle sera grande...
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